Vous lisez quoi en ce moment ?

Rappel du premier message :

J'ai fini Les pièges de l'exil de Philip Kerr - dernier volet paru de la série du héros Bernie Gunther, que l'on suit cette fois dans ces aventures sur la côte d'Azur
Policier parsemé de détails historiques. J'aime beaucoup. Et c'est assez agréable de se repérer géographiquement dans les lieux décrits.

Les tendres plaintes de Yoko Ogawa - on suit les aventures de Ruriko, jeune femme blessée par l'infidélité de son mari qui se réfugie dans le chalet familial pour y retrouver la paix. Ici pas de clichés, pas de voyeurisme, pas de drama inutile.
Comme toujours dans les romans d'Ogawa on y découvre un univers "original" (Ruriko est calligraphe, et un des personnage qu'elle rencontre est facteur de clavecins). Comme toujours aussi, la nature est très présente, c'est doux et sensuel et calme.
Je suis fan

Merci Nina pour ton retour sur ce livre !

J'ai fini un péplum spaghetti prêté par une amie (Gaule Orient Express) hélas moyen, et je reprends un polar de PD James, auteure britannique que j'aime beaucoup, Mort d'un expert.

Je confirme que l'inceste ce n'est pas que dans l'élite décadente ; dans toutes les affaires que j'ai eu d'agressions sexuelles pendant mon séjour au greffe co (et qui étaient des viols correctionnalisés), dans la majorité des cas c'était dans la famille (le grand père dans la majorité des cas, parfois le père / le frère) et c'était des familles "lambda", avec plus ou moins de moyens financiers.
Parfois les auteurs ont eux même subis des violences dans leur enfance.
Il y a aussi beaucoup de déni de la part des auteurs, donc ça reste un tabou à tous les niveaux. C'est donc très difficile de voir le travail possible pour les auteurs ... moi j'avais vraiment un sentiment d'impuissance judiciaire parce qu'on condamnait mais tant quand les gens restent convaincus qu'ils "n'ont rien fait" c'est compliqué d'évoluer.
Et donc aussi pour les victimes de parler c'est compliqué. Je me souviens d'une jeune femme, à qui toute sa famille avait tourné le dos

Comment arrive-t-on à correctionnaliser un viol, et pourquoi ?
No comment pour la pauvre jeune femme...

Oh ben y'en a la pelle des viols correctionnalisés. Mais c'est parce que la procédure aux assises est très lourde, économiquement pour la justice, mais surtout émotionnellement pour les victimes. Y'a tout qui est passé en revue.
Donc souvent les victimes acceptent que ce soit correctionnalisé / c'est plus rapide. Ça veut dire des peines moins lourdes c'est sûr, mais parfois ça permet de passer à autre chose.

Merci pour les explications, Thalie !

Quand je faisais référence au problème des élites, j'avais en tête deux points:

-déjà le fait que ce professeur de droit n'ait aucune notion des règles et des normes, et de la gravité de ce que cela signifie. On ne peut pas pérorer toute la journée en donnant des leçons au monde entier et refuser de se soumettre à la loi et à la norme commune (l'interdit de l'inceste en Occident ne date pas d'hier).
-et l'omerta qu'il y a eu autour: comment ces gens arrivent-ils à se regarder dans la glace? Ce qui soulève un problème moral intéressant: comment réussir à garder son instinct moral quand tout le monde autour perd la tête? La place de Duhamel est à Bois d'Arcy: comment des gens ont-ils pu le voir autrement?
Et enfin, je m'interroge sur cette femme, Evelyne Pisier. Comment tolérer l'intolérable?

Peut-être parce que si tu bronches, tu es seul.e et exclu.e du groupe ? Tu fais voler en éclat ton cadre familial, tu deviens celle par qui le scandale arrive ? 

Pour ton point 1, je pense qu'on est sur la même logique que DSK : le mec se croit intouchable, il se dit que puissant comme il est, il ne risque rien, un peu comme ces grosses boîtes de 2008 qui étaient too big to fail.

Je pensais pas forcément à la victime pour le silence mais plutôt à l’entourage des Duhamel. C’est bizarre non cette omerta ?

J'ai pu constater par mon expérience récente que les gens ont une tendance incroyable à faire l'autruche face aux problèmes. Hop, sous le tapis, pas vu, pas pris, pas responsable, pas concerné.  

Un peu comme les cas d'agressions publiques dans une foule immobile, chacun se dit "c'est pas à moi d'intervenir, un autre le fera" et hop il ne se passe rien, personne n'agit.... 

Dans le cas de l'inceste, les faits sont très graves, cela doit encore inciter plus à ne rien faire, pour ne pas être associé à celui qui parle en premier, qui prend le risque d'accuser. Surtout s'il n'y a pas de preuve flagrante (pris sur le fait par ex) juste des soupçons sans témoignage direct ou demande d'aide de la victime.

Il doit y avoir aussi beaucoup d'agresseurs qui demandent le silence par le chantage ou la manipulation à leur victime, non ? Du coup celle-ci ne parle pas....

Je suis d'accord avec Arthé. D'autant plus que l'inceste soulève un énorme tabou. Dans le podcast dont je t'ai parlé, c'est décortiqué.

Je pense que pour beaucoup de gens, l'inceste est un tabou énorme parce qu'ils ne veulent pas voir, et font donc le choix de minimiser, car l'admettre bouleverserait beaucoup trop les fondations sur lesquelles ils se sont construits. C'est d'ailleurs un problème, les victimes sont souvent seules et finissent exclues du groupe.

Vous avez raison, je pense. D’ailleurs mon premier instinct en lisant ce livre a été « c’est pas chez moi que ça se produirait! » alors que je n’en ai aucune idée. Remettre en cause cette idée c’est remettre en cause tout ce en quoi on a été élevé finalement. C’est je pense ce qui me fait considérer l’inceste comme un des crimes les plus graves (plus que la fausse monnaie qui est pourtant un des crimes les plus sévèrement punis du Code pénal): il remet en cause les fondements de la société en sapant la confiance qu’on a dans sa cellule familiale.
HS: j’ai toujours été fascinée cela dit par les gens qui arrivaient à s’exclure du groupe: Spinoza par ex exclu de sa famille et de sa communauté religieuse au nom de sa liberté de pensée, Churchill quand il prêchait dans le désert sur les dangers de l’Allemagne nazie, et tant d’autres.

Merci Nina pour ton retour. J'ai hésité à l'acheter et à le lire. Tu m'as convaincue.
Comme dit par Colombie, je te conseille ce podcast qui m'avait bouleversé. 
L'inceste, comme toutes les formes  de violences sexuelles voire de violences tout court, n'est pas anecdotique dans l'histoire d'une famille mais bien un système mis en place par les violeurs/incesteurs et qui trouve son origine et explication dans le patriarcat. C'est un peu le clou qu'on enfonce pour verrouiller tout cela.
Je pense que cela pourra en partie répondre à.tes questions.

Complètement. Comme le viol, c'est pas tant une question de désir qu'une façon d'asseoir son pouvoir et une vision des enfants comme des biens meubles dont on peut disposer à sa guise.

Dans la série les livres gais... (mais que néanmoins je vous recommande):



J'ai une préférence pour le titre anglais "Origins pour the cigarette catastrophe et a case for abolition", qui fait moins complotiste.

Déjà, l'auteur n'est pas un complotiste obscur, mais un des plus grands professeurs de philosophie des sciences aux Etats-Unis. Il enseigne aujourd'hui en Pennsylvanie.

Le sujet, ensuite. Le tabac (principalement sous forme de cigarette) est sans doute une des plus grandes catastrophes sanitaires de l'humanité: 100 millions de morts au 20e siècle, on pense qu'il en provoquera autour d'un milliard au 21e siècle. Je vais pas vous faire la liste des maladies que cela occasionne, il y en aurait pour 300 pages. La question intéressante qui est sous-jacente dans le travail de Proctor est la suivante: comment un produit aussi dangereux (on a beau jeu de nous parler des sels d'aluminium, du bisphénol A ou des micro-ondes qui sont complètement inoffensifs en comparaison) peut-il encore être autorisé, alors même qu'il n'est absolument pas nécessaire à la vie humaine?
Le livre reprend tout l'historique du tabac, les techniques qui l'ont rendu plus addictif, les méthodes de marketing agressif de l'industrie du tabac, leur financement du sport (saviez-vous que le tennis féminin devait son essor au financement des industries du tabac), la complicité des Etats (saviez-vous que les Etats-Unis se sont débarrassés de leur excédent de tabac avec le plan Marshall, provoquant donc une épidémie de cancers du poumon en Europe de l'Ouest), la manipulation de la science (on parle aujourd'hui des erreurs des toubibs avec le Covid: c'est absolument négligeable par rapport à la complicité de certains scientifiques et de leur complaisance vis-à-vis du tabac pendant des décennies. Par ex 25 prix Nobel ont reçu de l'argent des fabricants de tabac, c'est considérable).
Proctor a visiblement vu sa grand-mère mourir d'un emphysème pulmonaire, et s'est longtemps demandé en quoi les cigarettes qui l'avaient tuée avaient pu être un symbole de liberté. Ce livre répond finalement à la question: elles ne le sont pas, et il est indubitablement légitime d'un point de vue rationnel de procéder aujourd'hui à leur abolition. L'objection courante à l'interdiction de vente est souvent qu'on ne peut pas attenter à la liberté des gens et que la prohibition de l'alcool n'était pas bien: et il répond assez justement "le contraire de la prohibition, c'est la liberté, le contraire de l'abolition est l'esclavage".

Je vous recommande ce livre (pas seulement pour le sujet en tant que tel, même s'il m'a d'abord intéressée pour cela vu que j'ai été fumeuse, et suis fille de fumeurs impénitents par ailleurs, même si ma mère a heureusement arrêté depuis 20 ans) mais aussi parce qu'il invite à se débarrasser des fausses évidences et des choses qu'on nous présente comme acquises "on peut pas interdire", "c'est normal", "ça fait partie de la vie". Beaucoup de choses comme le tabagisme nous sont parfois présentées comme normales, inévitables, alors que si on fait l'effort d'y réfléchir et d'user son esprit critique, elles ne le sont absolument pas. Il faut parfois se défaire des conséquences ce que Proctor appelle l'agnotologie, càd la production culturelle du doute, de la désinformation, et de l'ignorance.

ça a l'air intéressant !

Merci Nina, c'est un sujet très intéressant, je note la référence

De rien, désolée c'est pas un sujet très gai!

Il y a aussi deux autres choses importantes que je n'ai pas mentionnées: la cigarette est un des grands modes d'absorption de produits radioactifs, puisqu'elle contient du polonium. Les industriels du tabac le savent, ont même pensé à des solutions, mais ne les ont appliquées parce que "c'est pas payant commercialement" (si si).
Et un autre argument que personnellement je ne connaissais pas (comme quoi): l'argument écologique. Le tiers des déchets américains est lié aux cigarettes, d'après Philip Morris lui-même. Des filtres non utilisés peuvent dans une eau tuer des poissons (vous imaginez ça?)

C'est pas pour défendre la cigarette (je n'ai jamais fumé, c'est tout dire), mais sachant que depuis quelques années seuls 16% des américains fument, ça me paraît quand même bizarre que le tiers des déchets soient liés à ça 

"Rien qu'aux États-Unis, on estime que 68 000 t de restes de cigarettes sont jetés tous les ans, sans compter les paquets et la cellophane. Même Philip Morris, dans le cadre du Programme de prévention des déchets de cigarettes financé par la compagnie, admet que les mégots de cigarettes représentent le tiers de tous les déchets des États-Unis, toujours en unités" (c'est ce qu'il y a indiqué dans le livre.

En ordre de grandeur, 16% des Américains sur une population de 318 millions ça fait quand même un peu de monde (et a priori les mégots n'ayant pas de nationalité, il ne s'agit pas forcément que des clopes fumées par des Américains eux-mêmes). Et c'est sans compter que ces déchets ne sont pas absolument pas biodégradables.